Ahah le titre me fait penser à ce vieux System of a Down, «Old school Hollywood».

Nancy. Le HDL. Le Haut-du-Lièvre. Un des quartiers célèbres de Nancy pour leur réputation célèbre (cette phrase est sacrée meilleure phrase de ce billet). Pendant longtemps j’y connaissais pas grand chose au HDL, j’allais parfois y faire de la musique le soir et puis voilà. Ça se passait toujours bien même si y’avait des gens chelous. En vrai des gens chelous ça fait une impression mais ça fait rien d’autre. Finalement dans des quartiers plus privilégiés on se croise dans la rue sans se regarder ni se dire bonjour et ça aussi c’est chelou. Cette série de photos est déjà ancienne. Le quartier a énormément changé depuis. A l’époque j’habitais dans la partie éclatée du Faubourg des III Maisons et j’étais monté au marché du Haut-du-Lièvre à pinces parce que la santé tout ça.

J’ai pas trouvé grand chose qui m’intéresse d’ailleurs ce jour-là alors j’ai un peu raoué. Je savais pas que quelques années plus tard ce quartier deviendrait un lieu habituel pour moi, que j’en connaîtrais les immeubles, les appartements, les recoins, les commissariats, les locaux associatifs, la piscine, les foyers d’hébergement et toutes ces sortes de choses. Que j’y serais à l’aise, sauf la fois où un mec m’a suivi de nuit sur 500 mètres en m’insultant sans jamais trop s’approcher cependant. Mais sans s’éloigner non plus. Bon, ça m’empêche pas de m’y sentir toujours à l’aise. Un fois sur toutes les fois ça fait pas beaucoup. J’ai été une seule fois à Pise dans ma vie, je me suis retrouvé avec un couteau pointé sur le ventre et délesté de cinquante balles. Donc bon. Je suis mieux au HDL.

Le paysage est brutal dans ce quartier, surtout à l’époque. Plusieurs immeubles sont tombés depuis, des morceaux de ses célèbres barres, le Cèdre Bleu et le Tilleul Argenté, sont devenus poussière. Et ça va encore s’accélérer dans les mois à venir. Ce jour-là, j’étais entre les immeubles et ça foutait un peu le vertige toute cette verticalité. Mais j’aime ça. Je ne suis pas sûr que les choix soient judicieux, je ne sais pas si c’était bien de construire ces quartiers, mais qu’importe, ils sont là et j’aime y faire des photos. Aujourd’hui, en 2023, je l’ai assez fréquenté pour ne plus trop voir cette verticalité car j’ai appris sa lumière. Ses heures. A quelle heure à quelle saison la lumière tombe comme-ci, comme-ça. Il y a des heures, des endroits où j’aime être, précisément. Quand je peux, j’essaye de filer au bon endroit au bon moment. Quand le soleil d’hiver, vers l’heure du goûter, en pleine détresse, en plein plongeon, vient lécher les façades, sournois, hypocrite, avec ses rayons en biais. Quand midi tombe soudain sur la rue le long de la clinique et de la maternité et qu’une averse s’achève. Quand l’angle du soleil, en été, vient heurter le quartier, et qu’apparaissent des ombres tranchantes sur les murs des passages sous les immeubles.

Enfin je te dis ça et puis je te fous des photos en noir et blanc qui datent de la jeunesse de Michel Drucker, un jour sans teint. En même temps, la grisaille uniforme, c’est beau. Et puis ça me donne l’occasion de causer du quartier tiens. Il se passe plein de trucs chauds quand même là-haut. Tout de suite, on pense délinquance, trafics et tout ça. Les vrais trucs chauds, c’est la précarité, c’est le sort des « mineurs isolés », c’est quand même de la belle détresse.
Mais c’est qu’à côté de ça il se passe plein de trucs chouettes. Des histoires de solidarités entre voisins. Des jeunes qui sourient. Les lumières du soir. Les langues qui flottent dans l’air. Ce long échange entre des jeunes qui racontent leur village au Bénin, et cette gamine qui raconte en retour sa vie à Beyrouth et les silos volatiles.

C’est cette maman qui élève huit enfants avec un courage incroyable et qui, un jour où elle peignait une toile avec un peintre du coin, dit soudain, à l’issue d’un soupir sans fin dur à interpréter: « Eh bien… je crois que ça fait au moins quinze ans que je m’étais pas mise assise pour faire quelque chose pour moi. Je ne savais pas que j’aimais peindre! »

C’est ce petit groupe de gamins qui comme tous les gamins du monde ont fait une cabane dans les arbres au bord du quartier, et qui posent devant comme des héros de western, c’est des voix dans la nuit autour d’une table et d’une lumière rouge, dans une toute petite pièce, c’est cette ado insupportable et classée comme « perdue » par trop de gens qui ne veut plus décoller d’un piano et joue et joue encore.

En même temps le quartier tu sais il est comme tous les autres. Il est soumis à des lois statistiques. Quand tu vois la densité de population, forcément ça augmente d’autant plus la possibilité de tomber sur de chouettes personnes. On s’y attache. Je me souviens de la véritable détresse d’un jeune de vingt ans quand il a appris que son bout d’immeuble allait être détruit et qu’il serait relogé dans un endroit plus cool. Lui, il était là, les yeux rouges, à répéter: « mais comment je vais faire ailleurs? Je veux pas partir! Comment je vais faire? ».

Il ne lui manque rien à ce quartier… enfin, peut-être un peu moins de tiraillements ethniques et religieux et un peu plus de conscience de classe. Histoire de foutre un peu le bordel pour de bonnes raisons.
Je me souviens de ces gamines du quartier qui se demandaient à quoi ressemblerait leur immeuble idéal. Dedans il y a avait leur école, une bibliothèque, une salle de jeux, une supérette, une crèche, une salle de repos pour les mamans. Et une piscine sur le toit!
L’une d’elles, pensive, compléta: « enfin faudrait pas non plus que tout ce qu’il nous faut soit dans l’immeuble sinon on n’en sortirait plus jamais ».
Précisément, jeune fille. Précisément. Ton quartier est beau. Que ce soit le HDL ou les hauts de Dommartemont. Que ce soit un lotissement à Pulnoy ou la Vieille Ville. Ton quartier il est beau. Mais c’est pas une raison pour ne pas en sortir. Et puis d’abord si tu vas pas voir ailleurs, tu ne connaîtras jamais la valeur de ton petit Lyré.
Big up, Joachim du B., j’te kiffe (t’es de la famille à Cardi B. ou quoi?).
Allez, suis-moi. On quitte le HDL et on va voir ailleurs si on y est. Où tu veux aller tu dis? A Longwy? Ah non pas encore ça fait chier. Viens, on va dans un village pour changer. Oui. Ou pas. Bon, ta gueule, prends tes pieds et on y va.

J’avais écrit un commentaire et tout et puis j’ai du le connecter et puis comme j’étais sur le téléphone ça a fait dla merde.
Bref, je disais que moi, même si j’en suis un peu à part je l’aime bien ce quartier, je suis aussi assez curieux de comment il va changer, visuellement parlant.
Je m’y sens bien et je m’y sens même souvent plus en sécurité qu’en centre ville.
Les gens doutent quand je réfute leur idées reçues sur le quartier, à croire que ma parole à moins de valeur que l’Est Républicain…
Et si jamais tu passes dans le quartier et que tu veux boire un café (j’en bois pas mais bon), un thé, une bière ou même de l’eau tiens, bha ma porte est ouverte.
Ouais j’y pense souvent. En vrai j’y passe plusieurs fois par semaine mais je sais pas je prends pas le temps. Et puis j’ai toujours un peu peur d’embêter…
Ah le « Haut du Lapin » ! Un soir j’étais paumée et j’ai demandé ma route à des autochtones patibulaires (les seuls dehors l’hiver la nuit) et je n’ai pas été mangée. Ils m’ont même donné la bonne adresse.
Et en sortant du concert, il y en avait 2 qui se tapaient devant la salle. Celui qui avait le dessus s’est retourné vers son public, rigolard, en disant « Ben quoi, faut bien entretenir la réputation » !
Sans surprise. Une fois en sortant de répétition y’avait deux gars assis dans la voiture du copain qui fermait pas. Ils ont dit désolé c’était ouvert et on n’avait pas chaud. On regardait les CD, on connaît rien. Du coup on a écouté un peu de musique avec eux dans la voiture et ils sont partis bonne soirée tout ça. Ce quartier!
Étant issu d’une famille de Lorraine depuis le milieu du XVIe siècle, je lis beaucoup de texte sur cette grande région qui fut une très grande région industrielle il y a 60 ans, soit autour de la dernière grande guerre. J’aime bien ces articles, et les médias choisis. Bravo !
Elle l’est restée jusque dans les années 80 et n’en n’est pas dépourvue aujourd’hui, même si ce n’est en effet plus comparable. Merci de votre commentaire.