Avis de recherche: perdu vieux copain à Champigneulles

[Photos brutes / Fuji X100F]

Une fois dans mon boulot j’ai lu un document et dans le document, la dame de mon travail elle parlait de Champignolles. Plusieurs fois. C’était pas une faute de frappe. C’était une erreur. Y’a plus de respect moi j’te l’dis.

Bon. Alors Champigneulles, c’est pas juste un petit centre entassé entre l’église et le canal, c’est aussi une grande commune forestière. Le banc de Champipi comme on dit, il va loin loin dans la forêt, jusqu’à faire de la mitoyance avec Liverdun, Velaine-en-Haye, Laxou et même Maron du bout de la pointe de sa limite communale. C’est pas rien. Et dans cette forêt y’a des arbres. Tu vois l’idée. Et moi les arbres je trouve ça cool parce que ça fait de l’ombre et c’est joli et au moins ça n’est pas pressé. J’ai jamais vu un arbre tracer comme un connard de merde à 150 sur l’autoroute (oui oui c’est bien de toi que je parle). Que des qualités, les arbres.

Pis bah à force de les fréquenter, les arbres, tu finis par en connaître quelques-uns personnellement. Y’a plein d’arbres avec qui je suis pote. Il y a des arbres bien repérés et qui se la racontent un peu comme le cèdre de la terrasse à Amance, c’est mon pote mais en vrai il a des tas de potes. C’est le BG du coin, il est populaire et tout, Nada Surf en parle dans la chanson, je serais pas surpris qu’il ai son propre compte Tik Tok et qu’il partage des selfies sur Insta avec les stars. Bref, tout le monde le connaît. Mais y’a aussi des arbres bien planqués au milieu de la forêt, anonymes, et ça c’est mes potes juste à moi.

Dans la forêt justement, (tu vas voir le lien, mon récit est hyper bien construit, c’est spectaculaire), y’a un vallon que j’aime beaucoup. En face de la triste Malpierre, où l’on fusilla 63 résistants, un chemin part plein ouest. Si tu le suis jusqu’au bout, le vallon, tu te retrouves quelques kilomètres plus loin à proximité des Cinq Tranchées, croisant la route forestière de Frouard. Mais tu ne veux pas aller à Frouard. Personne ne veut aller à Frouard. D’ailleurs la majorité des Français n’a jamais été à Frouard. Si c’est pas une preuve….

On n’ira pas jusque Frouard en réalité pour la simple et bonne raison que mon copain est là, bien avant, sur la gauche du sentier. Je l’ai rencontré il y a quelques années. C’était l’automne et je cheminais seul dans ce vallon que je découvrais. J’étais émerveillé et un peu inquiet comme toujours quand je suis seul en forêt. Cette vulnérabilité sourde, cette inquiétude de la forêt si tellement plus grande et plus puissante que moi, ça fait partie du plaisir que j’éprouve à m’y trouver seul. J’étais donc heureux. Et puis une très légère brise s’est pointée. Et je me suis retrouvé, surpris, sous une pluie douce, lente, tournoyante, fauve. Les feuilles glissaient dans l’air tout autour de moi, on se serait cru à Fondcombe, une merveille. J’ai levé la tête, j’étais sous sa frondaison et je crois bien qu’il m’a souri. Je ne sais pas vraiment comment on sait si un arbre souri. Mais moi je te dis que son sourire était très beau et qu’il s’amusait de me voir ravi sous son averse. Il avait l’air content de son effet.

Oui je sais c’est dans ma tête tout ça. Mais c’est pas parce que hein! Ho. Bon. En tous cas, depuis nous sommes amis. A chaque saison je viens lui rendre visite.

Cette année je ne l’ai pas trouvé.

J’ai voulu aller le voir au début de l’été. Je ne l’ai pas trouvé. Il s’est passé quelque chose. Des traces de roues immenses dans le chemin défoncé, élargi, raviné. Des traces de chenilles. Des traces de nous, les bipèdes relous. La couleur terne et uniforme de la terre retournée, partout. Je ne sais pas pourquoi les bipèdes ont coupé et lacéré et balafré la forêt. Peut-être qu’il y avait une bonne raison. Sûrement même. Moi j’étais juste horrifié. Des tas de bouts de cadavres d’arbres là au bord du chemin. Comme mes repères étaient bouleversés par cette destruction, je me suis raccroché à l’espoir de l’avoir raté, de ne l’avoir pas vu, de n’avoir plus compris où il se trouve. Mais les tas de bois coupé de place en place, sinistres, racontaient qu’il était peut-être bien là, quelque part, en morceaux. Débité. Désagrégé. Rationalisé. Mort.

J’y retournerai cet automne. Je veux croire, mais je n’y crois pas, que ma mémoire me fait défaut. Je veux croire, mais je n’y crois pas, que je me tiendrai sous ses branches, et qu’à la faveur d’une petite brise, il me servira sa jolie blague, à nouveau. Parce que c’est toujours un peu trop dur de perdre un ami.

9 réflexions sur « Avis de recherche: perdu vieux copain à Champigneulles »

  1. Heureusement que tu as prévenu sur Insta, je me lassais de passer en vain, j’étais limite inquiète. On ne sait jamais, abattu par erreur par un chasseur de renards…
    Bon, on a des arbres sympas, à Frouard. Et des gens aussi. Ok, ils sont tous en voie de disparition. Sans issue.

    1. Non pas d’inquiétude. L’incompétence ajoutée à la flemme, au temps qui passe dans le dos, à de la «charge de travail» comme on dit au travail et à l’existence de deux charmants bambins récréatifs dans ma vie = tiens, il s’est passé cinq minutes là non? Hein? Cinq mois? Ouh bah ça file. On dirait pas comme ça.

      1. Et puis un chat noir, si j’ai cru bien voir.
        Mais si les dahus hantent les forêts pentues, apparemment les dadus marchent à plat, c’est plus sûr ^^

  2. en fait Frouard c’est un peu le Chichilianne du coin.
    « On n’y va pas, on va ailleurs, on va à Clelles (qui est dans la direction), on va à Mens, on va même loin dans des quantités d’endroits, mais on ne va pas à Chichilianne. On irait, on y ferait quoi ? On ferait quoi à Chichilianne ? Rien. »

    1. Il m’a fallu faire quelques recherches pour comprendre, et c’est bel et bon, car croiser Giono c’est hyper valable comme on disait en 1992. Et me voici avec un livre de plus à lire. Le jour où cette pile me tombe sur le coin de la gueule, je porterai plainte contre toutes les bonnes âmes qui m’ont si bien conseillé. Merci, cependant!

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