Rue Vayringe, histoire d’une expo [Nancy]

[Prise de vue du 20 octobre 2012 | Nikon D7000 | Photos brutes a z’y j’ai redressé quand même un peu y’en avait des bancales]

J’ai déjà fait des expositions. Tu m’as pas demandé mais j’te l’dis. Ouais. J’en parle parce que je trouve que je suis pas assez égocentrique. Et ces expos, putain ça a toujours été un supplice. Les vernissages. A chaque fois les vernissages, même sympas et décontractés, mais quelle horreur. Dans ma tête ça équivaut à écrire une lettre de motivation, l’auto-humiliation absolue. Déjà faut manger avec des gens que tu connais pas, c’est une épreuve. Après faut leur parler. De ton boulot, de ta «démarche artistique™», de toi. Mais j’ai jamais eu une idée très claire de ce que je fais tu sais. Moi je marche, je vois le monde à travers mes névroses gentilles et j’appuie sur un bouton. Après le reste, je sais pas trop. Alors en parler… et le paradoxe c’est que j’adore parler. Même devant un public ça me gène pas. Devant des amphis même j’ai déjà fait. Mais je parle pas de moi, dans les amphis. Là, on attend quelque chose de toi, on te pose des questions, et neuf fois sur dix tu vois bien que les gens ne savent même pas trop pourquoi ils te posent des questions. Pas plus que tu ne sais ce que tu leur réponds. C’est le problème quand t’as rien à prouver aux autres mais que t’as des trucs à te prouver à toi mais que tu te sens mal d’avoir des trucs à te prouver au milieu de gens qui attendent que leur prouve des trucs à eux tout en craignant quand même leur jugement. Putain, la panique. Une fois même j’étais tellement mal que je me suis barré en plein milieu.

Mais pourquoi on s’inflige ça?

Viens voir mes photos, me parle pas et casse-toi et voilà.

Je suis le Frank Black de l’image t’sais.

Bon, aujourd’hui, je gère mieux. Ce que je fais, je sais que c’est pas génial et d’ailleurs c’est pas mon but de toute façon, et je sais que c’est pas de la merde non plus. C’est juste ce que je fais. Et ça plaît à des gens, mieux, ça leur fait plaisir. Que demander de plus, à part du provolone? Dans ma tête je suis plus menuisier que photographe. Dans la vraie vie si j’étais menuisier je pense qu’il me faudrait moins de deux minutes pour finir aux urgences.

Surtout, aujourd’hui, j’ai appris à m’en foutre et à répondre n’importe quoi, quitte à laisser les gens perplexes. Ça me fait même rigoler. Alors bien sûr je reste tout rouge et je sue ma vie, mais je m’en fous. C’est un vrai confort d’en avoir strictement rien à battre. Au final, même si j’aime pas ces moments, bah c’est comme une averse, t’y peux rien et ça va passer, autant en rire et se foutre de la gueule de l’inéluctable. Et parfois, quand je trouve quelqu’un cool, on cause pour de vrai. Et ça peut durer des heures.

Les gens, mon bonheur et mon problème.

En 2012, je faisais souvent des trucs avec mon copain frère de photo Sylvain. Ça m’aidait de faire avec lui, il abordait tout ça bien plus sereinement que moi. On avait fait une expo sur les Vins de la Craffe, sis à Maxéville: les caves, les anciens bureaux, les traces des brasseries précédentes, bref le «patrimoine caché». D’ailleurs c’est rigolo, le lieu actuel s’appelle «Le site des Brasseries» et pas «le site du vin de merde». Choix pertinent du point de vue d’une collectivité. De mon point de vue j’aurais trouvé ça drôle. On avait aussi ressorti des vieux tirages de sites industriels dont on faisait rien. A l’époque je créchais rue Vayringe, cette rue de Nancy qui est fichée dans mon affection comme Attal à Matignon: ça s’en va jamais. On avait recyclé notre expo, on avait collé scotché tout n’importe comment sur des cartons de n’importe quoi, et puis on avait demandé aux maraîchers voisins -n’hésitez pas à les visiter, ils sont toujours là- pour accrocher sur leurs grilles. On avait fait venir des potes. On avait squatté l’ancienne voie ferrée Saint-Georges, et dans mon vieux fidèle Jolly Jumpy (encore un truc fiché) on avait fait un bar. Enfin, un bar… dans nos têtes hein. On avait posé des boutanches et des gobelets et les gens se servaient. Le petit attroupement attirait les passants qui venaient voir les photos, les copains répondaient aux questions des quidams en nous montrant Sylvain et moi, cannette à la main, «c’est eux les photographes». On faisait coucou de la main depuis Jolly Jumpy, et comme on faisait pas mine de s’approcher, bah les gens restaient avec les copains et nous on pouvait boire tranquilles. La police municipale est quand même venue vérifier ce qui se passait mais comme on était blancs et un peu ivres, ils ont rien dit, ça passe. Effet miroir, quoi.

Aujourd’hui on serait fichés SFXHJKTE. Minimum. Finalement être subversif c’est facile: tu restes assis et tu attends que le monde devienne complètement con autour de toi, et bam! Un jour te v’là subversif, et sans efforts superflus.

Ouais bon bah voilà, c’est un super souvenir, dont voici quelques photos.

Ah et en passant, si à cinquante t’as genre un SUV de luxe ou une sportive hors de prix, mais que t’as pas de vieux Jumpy, bah t’as raté ta vie.

Remarque si t’as un SUV ou une sportive, t’as raté ta vie, même si t’as un Jumpy.

Wesh les gros-ses

C’est rigolo d’adapter une telle phrase aux nécessaires standards à inventer pour qu’ils ne soient pas moches des années 2010-2020. Souvent quand j’écris bah je suis super embêté par cette absence de neutre, ce genre balek qui nous manque cruellement. Je m’en rends compte, tellement la primauté du masculin casse un peu les couilles (oui, j’écris de ma position de mec blanc cis même si dès fois y’a des gars qui ont des cous sexy)(je mets au défi n’importe lequel de mes congénères hétéros de n’avoir jamais eu un petit frémissement devant la nuque délicate d’un autre gars)(Aaaaaaah mais au premier post j’arrive déjà à digresser).

Alors voilà. Passé cet incipit laborieux, je voulais vous dire que c’est une nouvelle mouture de Un Dimanche en Lorraine, un peu provisoire parce que je galère avec WordPress, mais sans rire, ça va venir.

Un Dimanche en Lorraine d’abord. Si j’essaye de structurer ma pensée malgré les oiseaux qui braillent dehors, malgré plusieurs fulgurances mortes-nées qui traversent mon esprit, malgré 58 notifs des réseaux sociaux, et en dépit de ce joli motif de poussière derrière mon ordi, c’est un blog, hein, parce que pour écrire des trucs j’ai pas encore trouvé mieux. Des trucs avec des images.

La Lorraine. Aaaaaaah. la Lorraine. Ah. Bon. J’ai quatre siècles d’ascendants lorrains. Côté maternel comme paternel. C’est pas de la merde hein? Bah si. Mon patrimoine génétique doit craindre à mort. Bon. Sinon. Suis-je fier? Non. Être fier de sa terre, qui ne t’appartient pas, être fier de sa province, de son duché, de son pays, de son cul sur la commode, c’est pas mal con, dans l’ensemble. Puisque t’as rien choisi. Je pourrais être né bactérie sur une exoplanète. La destinée c’est de la merde, la réincarnation aussi, le patriotisme n’en parlons pas. Donc, non, je ne suis pas fier. Suis-je content? Oui! Ah bah ça oui. Ah bah putain tu m’étonne. Il se trouve que la Lorraine n’y est pour rien initialement, mais mon histoire familiale et individuelle (pointons volontiers les limites de la famille) fait que j’ai eu l’occasion de connaître ma ville, Nancy, et sa région, la Lorraine. Des les aimer profondément, d’une tripe à l’autre. Sous plein d’aspects. Mais tu sais, plein. Pas deux. Plein. De son patrimoine militaire à son histoire pacifiste, de ses mouvements snob à son histoire ouvrière, de Charles IV, le premier punk de l’histoire, à Stanislas, le gars obèse content de lui (le premier sénateur de l’histoire?). En passant par surtout par les infinités de petites mains et de petites gens qui font notre région. Du Dédé au fond du Toulois qui de génération en génération coupe son raisin et fait son vin juste pour lui et les copains à la Denisa arrivée de Roumanie en 2014 dans une caravane sans fenêtres, migrée dans un appart’ pour apporter une vie meilleure à ses gosses et ça marche pas toujours malgré ses efforts mais ça marche quand même un peu. Tout ça, c’est les Lorrains, les Lorraines et la Lorraine. Tout ça et tout ce qu’il y a entre les deux. Donc je ne suis pas fier, je suis amoureux, passionné, attaché. C’est pas pareil que fier. J’aime la Lorraine, et pour cette raison, j’ai envie de garder un pied dans la porte quand les régionalistes obtus veulent la fermer, parce que c’est autant chez moi que chez eux, et chez moi tu bienvenu-e. J’aime ma région, je lui fais confiance, je n’ai peur de rien avec elle: alors bienvenue à toi, pour trois mois ou pour 100 000 ans. Quelle que soit ton origine, ta langue, ton orientation sexuelle, tes idées, même celles que je conchie. Mais dans ce cas on va causer. Les gens c’est ma chouette malédiction. Je ne peux pas les voir en peinture: essaye de m’intégrer à un groupe, je te bats le record du 800000 mètres pour fuir. Essaye de me séparer d’eux, je te casse la mâchoire à coups de cric tellement j’ai besoin d’eux et tellement, à vrai dire, je les aime. Les gens.

Pour l’histoire de te casser la mâchoire à coups de cric, pas impossible que je me luxe une épaule rien qu’en le soulevant. T’es tranquille.

Y’a pas souvent de gens sur mes photos parce que:

1/ J’ai peur de prendre les gens en photo

2/ Je veux pas faire chier les gens

3/ Les gens ils ont le droit, vu le développement des réseaux sociaux, de m’envoyer me faire foutre (alors j’anticipe)

4/ Mais quand même j’ai envie alors ça va dépendre

Mon modèle c’est «Les Pieds sur Terre» sur France Culture. Tu dois aller écouter ça tout de suite. Juste des gens qui causent. Toutes sortes de gens. Des que je trouve chouettes, des que je trouve cons, des qui m’émeuvent, des qui me font rire, des que j’ai envie de taper. Et c’est génial. je connais peu d’endroits aussi incroyables que cette émission de reportages pour parler, prendre la parole et ne pas être jugé.

J’ai tapé quelques interviews à droite à gauche, portraits de Lorrainn-e-s, très attachés à la région comme moi, ou non. Je tenterai d’en faire la relation. Sinon ça parlera beaucoup de Nancy, bien sûr de la Lorraine. parfois je ferai des escapades chères à mon cœur: La Haute-Normandie, un peu de baie de Somme conséquente, un zeste de Vézelois, des Balkans plein, et puis des endroits un peu à la vas-y comme j’te pousse.

Donc bah bienvenue. Incompétence, procrastination et délais techniques pourront différer le premier vrai billet avec des photos. Sois-en conscient-e.

Et surtout fais pas chier.