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  • La bagarre des cieux dans le Grand Couronné de Nancy

    Ahahahah. Ce titre claqué, c’est incroyable. Bon, le fait est que parfois il y a de l’orage dans la contrée. Pour preuve, il y a eu de l’orage aujourd’hui, j’étais au nord de Nancy, immédiatement au nord, et il m’est tombé de la grêle sur le coin de la gueule alors hein. Mon expertise est sans appel. Là je vais te montrer un vieil orage. Je sais pas si il sert encore aujourd’hui, ça se peut qu’il soit périmé. Mais cet orage était stylé, je l’ai un peu suivi, comme un chasseur d’orages mais sans chaîne Youtube, sans matos hors de prix, sans talent, sans la caillasse pour payer des tonnes d’essence, sans photos d’éclairs, sans spectacle, et en version pétochard. N’empêche. C’était fin bien. Après la thématique ça pourrait tout aussi bien être «des photos chiantes et redondantes de route mouillée». Tu fais comme tu veux.

  • Amance c’est mieux que le Hohneck

    Tu feras attention y’a des gens ils se pâment comme ça en bombant le torse tellement fort que leur tête bascule complètement et termine dans leur cul: ils sont là «uiiiiiiiiiii les Vosges c’est tellement beau et intimiste, j’ai dégoté des coins formidables, et quand la mer de nuages recouvre…»

    C’est le moment de couper court avec un «Oh mais vas-y ferme ta gueule putain tu casses les couilles» ce qui en terme de communication revêt un caractère assez définitif et pas forcément constructif mais qui a aussi l’avantage d’être super efficace. Le côté revêche, sans doute.

    Ah merde j’ai dérogé à tous les codes en mettant une photo en noir et blanc au milieu d’une série couleur. En même temps j’ai pas l’impression que ça va te faire un deuxième trou du cul, ni spécialement impacter le cosmos. Faudrait effacer refaire, vas-y au moins quatre clics. Flemme.

    Alors ouais j’en étais aux pâmoisons des gens qui ne vont plus dans les Alpes depuis qu’ils ont découvert que les Vosges c’est moins cher. Moi je les trouve mignons avec leur mer de nuages sur la plaine d’Alsace. Parce que moi j’ai le vrai plan ultime: je vais à Amance! et j’ai la mer de nuages tout pareil sans me faire chier dans les cols avec des poids lourds qui doublent des cyclistes en se faisant doubler par des motards: le salaire de la peur…

    Je suis peinard y’a personne sur le chemin à part mon copain Mike mais comme je l’ai emmené avec moi bah c’est de ma faute faut bien vivre avec pis c’est tout.

    C’est pas le Hohneck mais c’est moins cher. Sans compter l’absence de commerce qui aide vachement à faire baisser la facture. La mer de nuages elle est sur Bouxières-aux-Chênes. Bah c’est pas la plaine d’Alsace mais on survit hein.

    En plus y’a un de mes copains arbres. Bon il a pas de nom, j’ai pas poussé le délire jusque là, je suis pas sylvothérapeute, niveau foutage de gueule je préfère largement ce blog. D’ailleurs un jour je promettrai d’être moins vulgaire. Probablement je mentirai.

  • L’Autre Ville

    Bah c’est un billet avec juste une photo alors je vais pas non plus en faire trop. Mais parfois on me dit: «tu vas jamais à Metz?».

    Alors d’abord si parfois je vais à Metz mais je suis Nancéien. D’abord il faut réussir à quitter Nancy par le Nord sans se faire gauler par la police de Nancy. Puis il faut arriver à Metz par le Sud sans se faire gauler par la police de Metz. On fait pas ce qu’on veut quand il y a un derby des cons. Sans compter qu’il ne faut pas en route se faire happer par la désirable plaine de la Woëvre, ou les belles hauteurs de Prény ou d’Arnaville, ou rester coincé devant la jolie église de Corny-sur-Moselle. Je te dis c’est compliqué. Bon bref parfois je vais à Metz et on en recausera (sous le manteau).

  • Intermède CLB [Maxéville]

    [Fuji X100F / photo brute enfin presque j’ai bougé l’inclinaison de genre 0,6 degrés mais tu sentiras rien / juin 2023]

  • Champigneulles c’est nul

    [Fuji X100F / photos brutes / mai 2023]

    Mais qui ose dire ça? Ah ouais un Nancéien. Bah tiens. Moi je dis Nancy c’est prout. Voilà. Bien calmé le Parigo du Grand Est. Champigneulles c’est…

    Non mais oui, Champigneulles comme beaucoup de banlieues et petites villes au nord de Nancy, ça a une réputation «populaire», pour faire de l’euphémisme bon marché. 2,35€ le kilo, pour info. C’est pas cher pour de l’euphémisme. Moi, m’est avis qu’il vaut mieux que ce soit populaire que privilégié; au moins on n’a pas à rougir d’être au monde.
    Bien formulé en italique avec un point virgule genre carré VIP de la pensée, un gros préjugé ça passe, t’as vu? Ça mériterait une photo de Ghandi/Gandhi (je sais jamais où va le H, ça aurait quand même été plus simple s’il s’était appelé Vaxelaire ou Aubry) toute pixélisée, avec une incrustation de rayon de soleil à l’aube, des guillemets, une police moche et bam, citation sur le mur Facebook d’un vieux de 75 ans qui a la sagesse de la vie à cause de ses 75 années sur Terre (ça fonctionne à l’ancienneté, pas à la compétence).

    Et oui si tu veux donner une image un peu nulle de Champigneulles, tu fais des photos comme les miennes. Mais toutes les villes sont glauques en vrai. Merveilleuses aussi d’ailleurs. A Champi je fais souvent des photos de la déprime, d’accord. Mais enfin, j’y retourne si souvent que je dois bien quand même avoir ma petite tendresse pour Champigneulles. En plus j’ai un arrière-grand-père qui y a appris son métier de serrurier, tiens. Bon c’était pas le mec le plus sympa de la Terre (2,35€ le kilo, à ce prix là j’en profite), mais ça me rattache quand même.

    C’est une façon détournée de dire de manière non-explicite que j’aime bien Champigneulles. Mais je voulais éviter d’être trop affirmatif, vu que j’ai longtemps vécu à Nancy j’ai une réput’ à tenir. Champigneulles et ses ruelles inattendues, Champigneulles et son canal dans lequel les pignons des hangars se reflètent comme des pop stars, Champigneulles et sa gare perchée qui donne à croire que c’est un aéroport, Champigneulles et ses péniches colorées, Champigneulles et sa grande forêt magique, Champigneulles et son Val Thiébaut super magique, Champigneulles et feu le bel arbre de la Malpierre qui me manque, Champigneulles et les copains humains qui vivent dans la maison dans le bois que d’ailleurs on devait pas se faire un goûter avec les piots? Si vous me lisez, on s’appelle? Champigneulles et sa chouette piscine avec la vue sur la forêt et avec son personnel trop gentil, Champigneulles et son vallon de Bellefontaine tout plein de grenouilles et de bestioles gluantes, Champigneulles et sa tranchée des Talintés qui va tellement tout droit qu’on a l’impression d’être à la gare donc en bout de piste, Champigneulles et ses brasseries photogéniques qui se désaltèrent dans la Meurthe… Tu veux pas que je te fasse une liste non plus? Je… ah merde. Désolé.

    Concluons-en donc que Champigneulles c’est pas nul, en tous cas c’est pas plus nul qu’ailleurs, et que même c’est aussi chouette qu’ailleurs. Bafouant le principe de la conclusion qui fait que le billet est terminé, mais c’est la punk attitude™, tu peux pas comprendre, j’ajoute que du coup alors hé… pourquoi si Champigneulles c’est cool comme l’alcool, pour adopter la posture bistrotière de Kad « Patoche » Merad (remixé par Sory&Pak), pourquoi dans ce cas tu mets des photos déprimantes?
    Laisse-moi te dire un truc mon p’tit pote: si tu fais partie des gens qui se réjouissent du beau temps en été, toi-même tu sais. Et sinon bah tu sais aussi parce que par défaut t’es pas con.

    C’était pas clair la fin, là, juste au-dessus, hein? Ouais je sais. J’ai du mal de m’exprimer quand il fait plus de 20°C.

    Bon allez. La prochaine fois juré, sous réserve que je mente, on parlera pas de Champigneulles.

  • Le parc de Haye et la dévolution

    [Photos brutes / Fuji X100F / juin 2023]

    Ne viens pas me demander pour quoi «la dévolution». D’abord parce que je suis pas super sûr du sens donc je suis pas le meilleur interlocuteur. Ensuite parce que n’étant pas sûr du sens, je l’ai juste foutu là parce que ça faisait bien et que je trouvais rien à mettre. «Fer à repasser» ou «tapotage», ça aurait fait con. «Dévolution», c’est tout de suite plus classe. Au moins je passe pas pour un con.

    En juin je craignais vraiment pour l’été à venir. J’avais raison, à l’échelle mondiale, c’est la merde, comme chante POESIE ZERO. Nous, ça va en fait. Si on oublie que le régime de protection de la forêt de Haye est régulièrement attaqué et que les nappes phréatiques sont en galère depuis plusieurs années, bah il fait frais pour la saison et c’est super chouette. Mais en juin je savais pas. En juin, comme l’année dernière, j’avais peur de voir la forêt cramer comme une merguez oubliée sur la grille du barbecue par ce con de Timéo qui a bu trop de Triple Karmeliet hors de prix à l’apéro on n’aurait pas du le laisser s’occuper de cuire les cadavres de bêtes ni d’acheter les bières d’ailleurs.

    Alors j’ai été patrouiller, car je suis un patrouilleur de la forêt, je me promène dedans et je surveille si tout va bien. Nan je déconne, j’y vais avec ma voiture pour bien ajouter du CO2 au CO2 et je marche une heure et après je rentre parce que j’ai faim et j’ai peur. Pour avoir moins peur, je me suis pointé sur le parc de Haye, histoire de bien me taper l’anthropisation qui rassure. En plus c’est un ancien camp militaire américain, fermé en 1969, alors c’est vraiment la sécurité, les militaires ça fait pas peur, c’est apaisant. Tout le monde sait ça. Les militaires c’est déjà autre chose que ces conneries de yoga. En plus le yoga ça fait mal. Alors que caresser un militaire c’est sympa comme tout, les cheveux rasés c’est tout doux on croirait pas comme ça, c’est comme le duvet d’un poussin.

    On est ici sur la commune de Velaine-en-Haye, qui après sa fusion avec Sexey-aux-Bois est devenue Bois-de-Haye. Les changements de noms ça me perturbe toujours, mais là ça va c’est pas dégueulasse, ça a du sens. On s’en tire bien. Parce que ça dégénère vite ces conneries là, comme sur la route d’Épinal: renommer sa commune en «Capavenir Vosges», faut vraiment pas être le couteau le plus affûté du tiroir. Le gars il a cru que c’était un cabinet de conseil sa ville. Ce qui est super dangereux parce que si ça devient un cabinet de conseil à un moment va falloir y foutre le feu. Donc, le retour à Thaon-les-Vosges est salutaire. Maintenant on a juste envie de pas y aller, ce qui est quand même plus cool pour les indigènes qu’un incendie.

    Euh… j’en étais où moi? Ah ouais. La Patrouille. Mon projet d’aller voir comment va la forêt est rapidement devenu une errance satisfaite dans les recoins du parc ex-camp militaire. Les militaires ils ont construit plein de super hangars glauques et moi j’aime bien ça. C’est ambiance Stalker un peu, je frétille de l’objectif. En plus, l’utilisation des anciennes structures par des entreprises diverses, des structures ludiques et toutes ces sortes de choses, ça donne lieu à un niveau de mamaillage fort sympathique et un peu crado. Tout ce que j’aime.

    Y’a des endroits les trucs sont juste pétés et on se retrouve avec des grandes zones qui servent de parkings vides. C’est dommage, on aurait pu y garer des tas de SUV bien alignés, ce qui faciliterait le caillassage. Juste les pavasses c’est un peu trop gros comme le montre la photo, faudrait les larguer sur les Cayenne avec des grues, tout de suite c’est des frais et de l’orga et c’est fatigant. Faudrait juste revoir ça mais sinon c’est pas mal.

    Vers le fond du parc, côté est, après le poney club (c’est un club avec des poneys qui fument des cigares en réfléchissant sur le monde avant de rentrer chez eux acheter des actions pour peser sur le marché du crottin), tu arrives vite vers la fin du monde. Y’a pas d’issue, sauf si t’as une autorisation, pouf y’a une issue qui apparaît. Bon si on s’en tient au panneau le message reste pas clair.

    Alors tu passes le poney club on a dit. Voilà. Mes photos elles veulent pas suivre la chronologie de mon récit, elles commencent à saouler.

    Et en fait, d’un coup c’est le bout du parc. Les gars comme c’est en limite avec la commune de Champigneulles dont on parlait la dernière fois, ils ont foutu des barbelés, faudrait pas que des Champigneullais-e-s viennent se faufiler la nuit pour contaminer le patrimoine génétique des Bois-de-Hayois-e-s. Et puis c’est aussi la route forestière de Frouard qui borde la parcelle, et comme on le disait précédemment, personne ne veut aller à Frouard. Je suis un peu déçu, le passé militaire du lieu aurait nécessité quelques nids de mitrailleuses, plus pour faire joli qu’autre chose. Mais bon, chacun ses goûts hein.

    J’ai un peu suivi le chemin en parallèle de cette barrière inexpugnable. On s’y sent un peu plus dans la forêt et quand même c’est pour ça que je venais avant de me laisser distraire par la friche militaire sexy.

    Mais là, très très grosse désillusion: la barrière inexpugnable elle est super pas inexpugnable. En deux enjambées, me voilà à Champigneulles sur la route du Mordor Frouardais. Le flip total. J’ai peur d’être hypnotisé machin nanani et de finir dans la ville honnie même si y’a des bons restos faut pas croire.

    Par chance, à moins que ce ne fut du talent, je parvins à rebrousser chemin et mes poils vers le parc de Haye. Pour retrouver mon Jolly Jumpy et croiser les gens de retour de rendez-vous galants pendant la pause de midi. Pour ma part, j’avais eu rendez-vous avec la terreur et pourtant, jamais je n’ai et… ah putain, encore un billet que je sais pas comment finir.

    Bon la prochaine fois on parlera de civet et de lampes de chevet*.

    *proposition non-contractuelle

  • Avis de recherche: perdu vieux copain à Champigneulles

    [Photos brutes / Fuji X100F]

    Une fois dans mon boulot j’ai lu un document et dans le document, la dame de mon travail elle parlait de Champignolles. Plusieurs fois. C’était pas une faute de frappe. C’était une erreur. Y’a plus de respect moi j’te l’dis.

    Bon. Alors Champigneulles, c’est pas juste un petit centre entassé entre l’église et le canal, c’est aussi une grande commune forestière. Le banc de Champipi comme on dit, il va loin loin dans la forêt, jusqu’à faire de la mitoyance avec Liverdun, Velaine-en-Haye, Laxou et même Maron du bout de la pointe de sa limite communale. C’est pas rien. Et dans cette forêt y’a des arbres. Tu vois l’idée. Et moi les arbres je trouve ça cool parce que ça fait de l’ombre et c’est joli et au moins ça n’est pas pressé. J’ai jamais vu un arbre tracer comme un connard de merde à 150 sur l’autoroute (oui oui c’est bien de toi que je parle). Que des qualités, les arbres.

    Pis bah à force de les fréquenter, les arbres, tu finis par en connaître quelques-uns personnellement. Y’a plein d’arbres avec qui je suis pote. Il y a des arbres bien repérés et qui se la racontent un peu comme le cèdre de la terrasse à Amance, c’est mon pote mais en vrai il a des tas de potes. C’est le BG du coin, il est populaire et tout, Nada Surf en parle dans la chanson, je serais pas surpris qu’il ai son propre compte Tik Tok et qu’il partage des selfies sur Insta avec les stars. Bref, tout le monde le connaît. Mais y’a aussi des arbres bien planqués au milieu de la forêt, anonymes, et ça c’est mes potes juste à moi.

    Dans la forêt justement, (tu vas voir le lien, mon récit est hyper bien construit, c’est spectaculaire), y’a un vallon que j’aime beaucoup. En face de la triste Malpierre, où l’on fusilla 63 résistants, un chemin part plein ouest. Si tu le suis jusqu’au bout, le vallon, tu te retrouves quelques kilomètres plus loin à proximité des Cinq Tranchées, croisant la route forestière de Frouard. Mais tu ne veux pas aller à Frouard. Personne ne veut aller à Frouard. D’ailleurs la majorité des Français n’a jamais été à Frouard. Si c’est pas une preuve….

    On n’ira pas jusque Frouard en réalité pour la simple et bonne raison que mon copain est là, bien avant, sur la gauche du sentier. Je l’ai rencontré il y a quelques années. C’était l’automne et je cheminais seul dans ce vallon que je découvrais. J’étais émerveillé et un peu inquiet comme toujours quand je suis seul en forêt. Cette vulnérabilité sourde, cette inquiétude de la forêt si tellement plus grande et plus puissante que moi, ça fait partie du plaisir que j’éprouve à m’y trouver seul. J’étais donc heureux. Et puis une très légère brise s’est pointée. Et je me suis retrouvé, surpris, sous une pluie douce, lente, tournoyante, fauve. Les feuilles glissaient dans l’air tout autour de moi, on se serait cru à Fondcombe, une merveille. J’ai levé la tête, j’étais sous sa frondaison et je crois bien qu’il m’a souri. Je ne sais pas vraiment comment on sait si un arbre souri. Mais moi je te dis que son sourire était très beau et qu’il s’amusait de me voir ravi sous son averse. Il avait l’air content de son effet.

    Oui je sais c’est dans ma tête tout ça. Mais c’est pas parce que hein! Ho. Bon. En tous cas, depuis nous sommes amis. A chaque saison je viens lui rendre visite.

    Cette année je ne l’ai pas trouvé.

    J’ai voulu aller le voir au début de l’été. Je ne l’ai pas trouvé. Il s’est passé quelque chose. Des traces de roues immenses dans le chemin défoncé, élargi, raviné. Des traces de chenilles. Des traces de nous, les bipèdes relous. La couleur terne et uniforme de la terre retournée, partout. Je ne sais pas pourquoi les bipèdes ont coupé et lacéré et balafré la forêt. Peut-être qu’il y avait une bonne raison. Sûrement même. Moi j’étais juste horrifié. Des tas de bouts de cadavres d’arbres là au bord du chemin. Comme mes repères étaient bouleversés par cette destruction, je me suis raccroché à l’espoir de l’avoir raté, de ne l’avoir pas vu, de n’avoir plus compris où il se trouve. Mais les tas de bois coupé de place en place, sinistres, racontaient qu’il était peut-être bien là, quelque part, en morceaux. Débité. Désagrégé. Rationalisé. Mort.

    J’y retournerai cet automne. Je veux croire, mais je n’y crois pas, que ma mémoire me fait défaut. Je veux croire, mais je n’y crois pas, que je me tiendrai sous ses branches, et qu’à la faveur d’une petite brise, il me servira sa jolie blague, à nouveau. Parce que c’est toujours un peu trop dur de perdre un ami.

  • Fléville-devant-Nancy: hommage à la ferme de Frocourt

    [Fuji X100T / photos brutes]

    Le truc qui m’obsède peut-être autant que la tofaille c’est les trucs pétés et les trucs disparus. Les trucs disparus encore plus en fait. C’est mieux que les trucs pétés. Les trucs pétés c’est pas frustrant, c’est là, y’a qu’à se baisser pour les picorer. C’est beaucoup trop feng shui pour être honnête. Alors que les trucs disparus, c’est plus là, tu peux pas les toucher, tu peux pas les visiter ou y faire des vidéos waouh pour ta chaîne Youtube de merde. C’est frustrant. Et la frustration c’est cool, ça te remet à ta place, et ta place est insignifiante.

    Au bout d’Houdemont, dans la banlieue de Nancy, et même à vrai dire en partie sur le ban de Fléville, il y a une enseigne de bricolage qui hésite encore entre royalisme et enchanteur du cycle arthurien. Les gens s’y pressent, y compris le dimanche. Parce que c’est bien de cautionner le travail le dimanche quand on travaille pas le dimanche. Et on travaille pas le dimanche parce qu’on refait sa cabane de jardin ou on ponce une porte. C’est comme les retraités actuels qui sont pour la retraite à 64 ans. J’ai pas de mots. Enfin bon, les gens ils sont là sur le parking, ils vont acheter des trucs pas souvent utiles, mais toi t’es pas comme ça. Tu vas quitter le parking à pinces, revenir vers l’entrée du parking sus-cité et sur la droite tu verras un très court chemin raide qui grimpe, escorté par des arbres sûrement sagaces. En tous cas on ne m’a toujours pas prouvé qu’ils ne l’étaient pas. J’y suis retourné cette semaine parce que c’est un endroit que j’aime bien. Tu arrives en haut et la ville disparaît. La zone disparaît. Te v’là au bord d’un champ. Et là, juste devant toi, est un joli fantôme. Le fantôme de la ferme de Frocourt. Je t’explique avec le concours comme toujours apprécié de Géoportail, qui est mon Netflix à moi.

    Je te fais la même mais en version vieille, à l’époque où les avions photographiaient le pays décemment et où ton grand-père pratiquait un patriarcat digne et généreux: c’était au temps qu’on avait des valeurs actuelles, quoi.

    Eh ouais gros-se, y’a une ferme sur la photo. La ferme de Frocourt. C’est un peu comme la ferme Saint-Jacques à Maxéville. Elle est là elle est plus là. Pouf. Magie. Comme dirait l’enchanteur du cycle arthurien. Frocourt est tombée avant Saint-Jacques, d’après ce que je trouve sur Internet. Internet autant si je veux savoir si je peux cuisiner mes crottes de nez y’a pas mal de ressources, mais sur la ferme de Frocourt ça reste léger. En même temps tout le monde s’en fout un peu de la ferme de Frocourt. Dans le fond moi aussi, elle change pas ma vie la ferme de Frocourt, moins que la tofaille en tous cas. Mais quand j’arrive en haut du petit chemin, je ne peux pas m’empêcher de la voir. Depuis que je sais qu’elle était là, je la vois. Les grosses zones commerciales cradingues comme celles d’Houdemont c’est rudement pratique on va pas se mentir. Et l’idée que c’était mieux avant est en général le symptôme des âmes nulles. Mais quand même, on ne m’ôtera pas de l’idée que c’était mieux avant, du temps de la ferme. Parce que les sols naturels buvaient l’eau, parce que les ballets de bagnoles à la con n’existaient pas ici et ne crachaient pas de poison, parce que le paysage était un peu plus cool, vu qu’une ferme c’est plus joli à mon goût qu’un magasin de bricolage ou qu’un uber hypermarché avec un parking sur 700 niveaux. Parce que produire à bouffer pour les gens ça a l’air plus utile que de vendre des semi-remorques de trucs qu’il faut produire, transporter, conditionner puis mettre à la déchetterie, polluant de manière porcine tout le long du processus, de A à Z, bravo la société de consommation (je suis aussi contre la guerre et j’aime les bébés animaux).

    J’essaye de me raisonner mais j’y arrive pas. Je crois quand même que c’était mieux avant. Après les zones commerciales et toute leur absurdité sont des endroits que j’aime pour faire des photos, regarder les gens, parfois leur causer, voire croiser des connaissances: mais du point de vue supérieur de l’intérêt général, c’était mieux avant. Quand même. Mais je cause je cause et pis je fous pas de photos.

    Ouais c’est le ciel entre les arbres. Ça puait l’orage. C’était chouette. Ah oui parce que du coup faut pas t’attendre à des photos de la ferme, elle a disparu vers 1975, forcément. Et comme je suis pas un zouave de chasseur de fantômes, j’ai pas pu enregistrer ses cris informes tandis qu’elle s’effondrait sous les coups de la démolition. J’ai pas de spirit box ni même de connardotron 6000 que j’aurais acheté 150 balles chez Casto (le nombre de Picons que tu peux boire au bar pour 150 balles, ça serait un meilleur investissement, pis au bout d’un moment y’a moyen que tu voies des spectres easy en plus). Voilà, du matos, des gadgets, l’aventure t’sais, le surnaturel. Acheter des trucs comme ça aux petits malins qui les vendent, et se pignoler ensuite avec un air entendu sur des bruits blancs, ça c’est surnaturel, en effet. Les gars ils croient chasser du fantôme, en fait ils font de l’ASMR en scred la nuit. Enfin bref, pas de flux éthérique sur ce coup-là, déso pas déso, hein. Mais encore une fois, mon cerveau qui erre dans des vies qu’il ne connaît pas, qu’il invente, celles des gens qui ont vécu et travaillé dans cette ferme que je vois comme si elle était là. Mais elle est pas là. «Ferme, pas là» comme dirait mon fils qui commence à causer. Ferme ta gueule, comme je me dirais si je me rencontrais.

    Alors faut juste continuer le chemin, non? A droite je vais finir au pied de l’autoroute à téma les graffs de l’Antiquité, c’est sympa mais je suis pas motivé. Je pars à gauche, le long du bois, le long du dernier entrepôt de la dernière enseigne superflue de la zone. Je vois ce tas de pierres et de gravats, voisinant avec une courte portion de muret dévoré de végétation, en bordure du chemin. Voilà, les seules traces physiques de la ferme de Frocourt.

    J’aime bien ici, ce petit bois qui n’a pas bougé depuis des décennies. C’est rassurant. Je pense à toute la vie que cette réunion d’arbres abrite, des araignées marrantes aux renards glissants. Si ça se trouve, il y a des blaireaux et ça c’est une pensée qui fait plaisir. A gauche s’ouvrent des prairies bordées de forêt ou de haies. Les haies c’est la vie, c’est comme le gorgonzola. Juste au-delà sont tapis des pavillons invisibles avec chien de garde réglementaire. Mais je descends vers Fléville. Dans les flaques d’eau, des œufs de grenouilles en masse. Je pense au carnage à chaque passage de véhicule, généralement agricole.

    L’horizon est ouvert sur ce sud flou de Nancy, immédiatement rural et pourtant ourlé d’autoroutes, de voies rapides, de voies ferrées, de canaux. L’orage menace de plus en plus. Je descends jusque Fléville? Oh, oui. Rien que pour voir le bois s’ouvrir, la fenêtre au bout du chemin, c ‘est chouette et j’aime ça.

    Il n’y a personne sur le chemin, c’est tant mieux. J’aime pas trop croiser des humains quand je me promène. Autant je peux dans certaines circonstances être parfaitement sociable, et pousser le vice jusqu’à aimer ça, autant j’aime marcher en silence, surtout en forêt. Je conçois que pour plein de gens la promenade soit un support pour taper la causette, mais à vrai dire pour moi, la promenade est une activité en soi. La promenade c’est voir, entendre, sentir, c’est un truc sérieux, c’est comme évoquer le temps qu’il fait, ça se fait pas à la légère. Si on babille sans cesse en même temps bah ça fonctionne pas. Alors j’aime pas marcher avec des gens et c’est comme ça. Ni même en croiser. Les gens c’est relou. J’en veux pas dans ma balade. Rentrez chez vous les gens.

    Je veux des racines, des fleurs, même des qui puent, des arbres, même des morts, des bestiaux, même des charognes, du vent, même s’il amène l’orage. Prévoyant comme toujours, je suis en t-shirt et en baskets au milieu des champs, je la sens déjà l’averse de grêle que le sort me réserve. Sauf que je suis plus fort que le sort, je suis comme ça. J’ai louvoyé entre les averses, les éclairs, les nuées de frelons polaires et les électeurs de droite, bref j’ai géré l’adversité. Et je suis rentré sec. Tu vas faire quoi Taranis? Mange tes morts Taranis.

    Bon je cause, je cause et puis voilà Fléville qui se pointe. Il va falloir encore descendre un peu plus bas, vers les fesses du château. Le derrière. Le château de Fléville tu sais. Oui y’a un château avec une belle tour ancienne et plein d’autres belles choses. Quand j’étais jeune, même si j’avais déjà des poils sur la face, mais bon c’est pas le sujet, j’étais guide au château. Ouais ouais. Ça m’est arrivé. C’était marrant. C’était un peu n’importe quoi aussi mais c’était bien. Je ne sais pas du tout à quoi ressemblent les visites actuelles, mais sur la base d’une expérience vieille de plus de vingt ans, je peux te dire que le château vaut le coup d’être parcouru. Je te l’annonce. Tu feras dans ta tête l’impasse sur les gnangnanteries familiales qui à mon époque en tous cas étaient présentées d’une manière pas bien intéressante et tu te concentreras sur tout le reste. C’est mon conseil beauté de la visite.

    Sur la photo au-dessus, à 500 mètres à peine, de l’autre côté de la crête, y’a des tas de magasins nuls. C’est à ne pas y croire. Le tout c’est de rester du bon côté de la crête. Du bon côté du bois. Fléville est cerné. Fléville reste partiellement rural, mais cerné.

    Bon on arrive en bas du chemin. On peut se raccrocher au parcours de santé très bucolique qui voisine par un court chemin de jonction, ou continuer vers le cul du château. Bah un cul de château, ça se refuse pas. C’est aut’ chose que le cul du Courtepaille hein.

    Et l’orage tombe sur là-bas, vers Maxéville et Champigneulles, je dirais, à vue de pif. Je me réjouis parce que c’est beau, je me réjouis aussi parce que je suis pas équipé et que ça passe au large. Quel bon entre midi je passe, les amis.

    On dirait que me v’là à Fléville. En tous cas je reconnais pas ces arbres étranges. Peut-être c’est pas des arbres. Peut-être c’est des machins d’humains. Peut-être ce machin là-bas c’est un tracteur qui se magne le jonc de faire ses trucs à faire parce que le temps est instable et puis du côté d’Art-sur-Meurthe, donc pas bien loin à vol d’orage, ça commence à grogner dans les nuées.

    Bon, on est à Fléville. Là c’est sûr. Et à la fois Fléville ça va. Ça se fait en douceur. C’est Fléville quoi. J’ai un copain, que je salue si il passe par là, quand on était ados, il habitait là. A Fléville. Non mais c’est pas grave hein. Ça arrive. Et pour aller chez lui je prenais le bus. Le bus de la ville. Et le bus à un moment il est au milieu des champs. T’es là, accroché avec ta main à un bordel en caoutchouc lové à une barre métallique dans ton bus pour pas tomber, y’a des gens autour de toi qui on l’air de se faire chier, y’a des chewing-gums sous les sièges, la scène a la poésie d’une promo chez Casto, bref t’as tous les signes dans ton véhicule urbain que t’es bien dans un truc urbain. Et t’es là au milieu des champs. Bah moi ça m’a marqué. Y’avait une joie absurde à tout ça. On se serait cru dans le bus de Paul Kirchner.

    Je faisais le malin à une époque. En 1997 je crois, j’ai enlevé ma montre en disant je serai pas esclave de l’heure tout ça. Bon. En 2003 je crois, j’ai eu un téléphone portable. Donc j’ai l’heure tout le temps. je suis un peu comme ces gens qui sont là, avec leur smoothie à la main, à pérorer: «Oui tu sais moi j’ai pas de télé à la maison parce que la télé…». J’ai envie de leur dire «Gnagnagna», parce que j’aime citer les philosophes dans leurs fulgurances. C’est les mêmes que tu retrouves comme des lapins épileptiques devant leur écran d’ordi à 00H37. Car il est 00H37 et je suis devant mon ordi et j’ai pas de télé: voilà, je suis démasqué. Putain mais pourquoi je parle de ça moi, encore? Vas-y mon cerveau c’est vraiment Fleury-devant-Douaumont, vers le 24 février 1916 à midi.

    Ah oui. Je me souviens. Je sors mon téléphone, je regarde l’heure et horreur, je risque de revenir en retard de ma permission d’entre midi. Le centre d’incarcération salariale va gueuler. Vite! Demi-tour! Et puis, plus inquiétant, l’orage se fait pressant, ça cartonne pas si loin et quelques gouttes périphériques me tapotent. Un petit harcèlement qui pourrait devenir un tabassage en règle si je ne presse pas le pas.

    Avant de te laisser sur une série très marquée par ma sueur et une précipitation de bon aloi qui une fois encore m’a permis de voir l’orage de près sans me le prendre sur la tronche, je te dirai que les banlieues de Nancy que je classe en enfer pavillonnaire, moi le premier, bah faut pas s’y tromper. Faut arrêter de faire des petites cases et aller arpenter le terrain. Houdemont, Ludres, Heillecourt, Fléville, Saulxures, Seichamps et tout ça. Oui c’est plein de pavillons qui ont pété les terres agricoles et les prairies. Oui les sols y sont terriblement artificialisés. Oui on peut s’inquiéter d’un mode de vie de petite bourgeoisie pantouflarde qu’on attribue à ces lieux, à tort ou à raison. Oui on peut regretter ces dortoirs qui privilégient la propriété privée à l’espace collectif. Oui à tout ça, d’accord, si tu veux. Et avec ce «si tu veux», je m’adresse principalement à moi, tel que j’étais y’a pas si longtemps. On peut avoir toute cette critique en bloc. Mais que ça ne nous empêche pas d’être curieux. Tant que ta curiosité est plus forte que tes inévitables et nécessaires opinions de comptoir, idées, certitudes, préjugés, t’as quelques chances de pas finir trop en vieux con. Mais c’est une longue, dure et terrifiante bataille contre soi-même.

    Dans ces banlieues, déjà y’a des typologies d’habitat qui sont intéressantes à guetter. Des styles, des parti-pris, des décos de jardin de toutes sortes, le pire côtoie le moins pire, en photo c’est un régal. Des formes, des textures: comme partout. Comme dans le massif vosgien, comme dans la ZAC du coin, comme sur la peau des humains. Donc, rien que là, c’est un sujet intéressant. Ensuite y’a des gens. Les gens, comme sujet, tant qu’ils ne viennent pas causer dans ma balade en forêt, je suis fan. Mais surtout dans ces banlieues, y’a pas que les pavillons. Y’a plein de recoins naturels ou pas, y’a plein de petites chouetteries cachées à droite à gauche. Des choses toujours très modestes, mais la modestie n’empêche pas l’extraordinaire. Il y a des wagons de photos à faire dans ces marges absurdes. Des wagons.

    En attendant, j’ai eu chaud au cul moi, avec cet orage. Me reste plus qu’à redescendre vers ma voiture, à mettre le contact et à partir vers de nouvelles aventures en crachant des particules fines. Youhou Jolly Jumpy, l’aventure nous appelle, il nous reste une longue route à faire jusqu’à ma chaise de bureau! Qui sait ce qu’il va nous arriver sur

    Ouais non j’annule cette phrase, elle était super mal barrée.

  • Maxéville: le bas du milieu du bas

    [Fuji X100T / photos de guingois remises d’aplomb, quelques tripotages de contrastes plutôt mineurs]

    Maxéville faut mettre des escaliers. On enlève les rues on met des escaliers. C’est bien ça comme idée. Parce que c’est le truc de toutes communes qui penchent autour de Nancy. Dommartemont, Villers-lès-Nancy, Laxou, Malzéville, même combat. Des escaliers. Ou des chaises à porteurs. Après va trouver un bon porteur de nos jours… la CGT a fait du mal, hein. Bon le bas du milieu du bas de Maxéville c’est un coin que j’aime bien. J’en ai été longuement voisin car j’ai habité des années tout au bout de la rue du Faubourg des III Maisons, à la limite entre Nancy et Maxéville. Ma fenêtre de cuisine donnait sur le canal, je pouvais causer aux plaisanciers et aux pigeons qui venaient se poser sur le rebord de la fenêtre, c’était bien.

    Ce bas du milieu du bas (que je nommerai le bdmdb pour simplifier le travail des investisseurs de Un Dimanche en Lorraine Ltd) est coupé en deux par la voie ferrée. D’un côté, sur le haut du bas du milieu du bas, on va vers la mairie, on trouve de la MJC, de la médiathèque, de la brasserie, de la entreprises diverses que je connais pas. Et même de la Inspé ex-Espé ex-IUFM (ouais c’est bien de changer tout le temps le nom des choses, ça challenge le public, et ça fait un public de winners, CQFD). De l’autre côté de la voie ferrée on trouve des restaurants fermés, des bars glauques fermés, une très bonne pizzéria en livraison mais fermée et un Lidl très ouvert. Y’a aussi un foyer d’hébergement où j’ai échangé quelques cafés avec une maman et sa petite fille venues de très loin. La petite aimait bien les canards du canal et la maman était une photographe douée qui s’ignorait: j’espère qu’elle aura pu continuer de tromper la vie rude par l’image. J’espère qu’elles vont bien là où elles sont. Je leur envoie de l’affection, en passant. Enfin voilà y’a un petit côté déshérité par ici qui me met assez à l’aise. Mais pourquoi donc c’est comme je te le raconte?

    Tu dois comprendre que Maxéville, en tous cas le bdmdb (c’est pénible hein?) était un endroit très industriel et il hérite d’un plan assez contraint par toutes ces structures. Sauf que les structures, c’est fini. Les Brasseries Réunies, les Vins de la Craffe, le TP Max, transporteur aérien venu des carrières (qui se trouvent en haut du haut), les hauts-fourneaux, la mine, les entrepôts frigorifiques, ça fait belle lurette que ça n’existe plus. Alors le quartier ouvrier autour il a été tout dépérissant pendant des années. Je te jure que pour rattraper le coup derrière, c’est rock’n’roll. Certains bâtiments ont disparu, d’autres ont été à l’abandon, il y a eu des friches, on a reconstruit des trucs. Depuis quelques années les parcelles en friche ont tendance à disparaître au profit de constructions neuves. Bon. C’est bien et c’est en même temps un peu triste pour ces bouts de ville complètement sauvages et pas mal cradingues que personne ne semblait maîtriser. Mais le bdmdb reste le bdmdb tu sais. Sa voie ferrée en balafre, ses rues qui devraient être des escaliers, sa précarité, son canal tout sale comme un canal mais somme toute agréable. C’est pas un coin facile. Mais c’est un coin que j’aime bien.

    Alors si tu es un-e gredin-e, ce dont je ne doute pas, tu te dis: «nan mais il est con lui il dit c’est moche et tout et il dit qu’il aime bien comment il est con j’y crois pas le teubé». Ça tu vois c’est parce que je suis un artiste. J’ai une sensibilité au monde et une empathie spontanée pour la part damnée de l’univers. Et toi bah tu vois t’es pas un artiste, alors tu te dis des trucs cons et tu vas en vacances à Perpignan. C’est comme ça c’est pas de ta faute. Après si tu veux je peux t’expliquer ma démarche artistique, mais comme t’as pas de subvention à me donner et que de toute façon je suis pas sûr que tu sois outillé pour comprendre… enfin bref, Bordeau-Chesnel, les rillettes, les valeurs, tout ça. Si j’avais une mèche je la remettrais rageusement en place tiens. Après cette mise au point, je propose une photo. C’est un proposition artistique, hein.

    Y’a ce côté stérile dans le bdmdb, comme si rien ne pouvait arriver. Rien d’autre qu’un TER en retard. Les longues rues et ruelles qui suivent sagement les courbes de niveau s’alignent, s’empilent. Dans le bdmdb on fait ce qu’on peut. Mais y’a des gens que j’aime beaucoup. J’ai parlé de la maman photo et de sa fille canard, mais y’a aussi ce retraité bourgeois et loyal, attentif et intègre comme le hussard ou cette famille d’un pays qui se cherche et dont les enfants ont l’imagination pleine de soleil. Comme le concluait Lindingre très justement à l’issue d’un post Facebook (on peut pas toujours se référer au dernier BHL hein): «oui mais il y a les gens». Et ça change tout.

    A cette saison, la végétation foisonne et avec les coupes tardives, elle a le temps de se répandre, d’occuper l’espace, de donner un côté brouillon aux choses et à vrai dire joliment abandonné. D’ailleurs cette notion est stupide, une de plus: la végétation comme marqueur de l’abandon. Bah justement non. Quand la végétation revient en force, ça n’a jamais été aussi vivant.

    Maxéville, le bdmdb, en vrai tu sais pas où aller. Si tu vas t’enfiler vers Nancy, y’a plus de moyen de traverser la voie ferrée avant un moment, si tu veux aller vers Champigneulles, t’as cette si longue rue coincée entre voie ferrée et canal avec si peu d’échappatoires transversaux, alors tu peux passer derrière les maisons et aller au canal, mais là encore, pour traverser il faut aller jusqu’aux ponts. C’est un quartier compliqué à visiter pour un touriste qui veut un petit circuit bien fignolé et qui ne repasse jamais deux fois au même endroit, car le doublon c’est le genre d’événement qui colle des AVC aux touristes et aux guides et blogs et comptes Insta qui partagent leurs bons plans que tout le monde connaît. Non vraiment ne viens pas ici, sinon tu vas apprendre ce que c’est le linéaire et tu ne veux pas ça. Fous-nous la paix, quoi. Va faire chier les Bretons tiens, je suis sûr que leurs influenceurs tourisme te partageront des purs plans crevettes. De toute façon ici dans le canal y’a surtout des plans caddies, des plans vélos, parfois des plans cadavres.

    Bref, ici c’est le quartier à Roger Cageot. Quoi? Tu connais pas Roger Cageot? Bah va pas fouiller dans ses affaires hein.

    Pour finir, on va mettre de la couleur et moins de mauvais esprit. Et une photo pas de moi. La maman de la petite fille canard elle a fait cette photo, ici, dans ce quartier, un jour. C’était la première fois de sa vie qu’elle avait un appareil photo en main. Et trois déclenchements plus tard c’était comme si elle avait fait ça toute sa vie. Elle et sa fille, elle m’ont donné des leçons de courage, sans faire exprès. Le combat ordinaire a ses héroïnes ordinaires.

    Et j’adore cette photo.

  • Rendre Gorze -2-

    [Fuji X100T / photos brutes sauf un ou deux recadrages pour la dignité]

    Je réexplique pas le titre hein. C’était déjà assez malsain la première fois. Mais si tu aimes être dépité, tu peux te référer au billet précédent.

    J’étais en train de tanner avec Gorze. Punaise tourner autour de Gorze c’est chouette, on passe de la petite cité pas claire entre ville et village à des promontoires dégagés, on croise des coins de campagne ravissants, des combes indécentes, des forêts belles mais souffrantes, des pavillons apeurés aux sols artificiels, des parties de campagne humides et délicates. C’est valable. Faut aller tourner autour de Gorze si on aime les contrastes. Contrastes toujours contenus dans une dense circonvallation forestière.

    Comme Gorze est au fond de son cul de sac topographique, t’as une sensation d’échappée belle quand au coin d’une hauteur la campagne, quasi-meusienne, c’est dire si c’est beau, s’ouvre devant toi. La croupe sombre de crêtes lointaines, le moutonnement de mai des cimes forestières que structure le soleil pâle, comme la fourrure du chat qui se remet en place sous notre caresse. On oublie la saignée dans le plateau, la saignée de la Gorzia, on oublie le clocher dominé par l’hôpital. On y replonge pourtant avec envie, parce que les mystères de Gorze nous font de l’œil, les coquins. Le terrain de foot, piscine à pissenlits, parcouru par des quidams en pleine récolte. C’est le mois de mai, tout a pourtant l’air abandonné, l’herbe est déjà haute. Incongrus, des employés municipaux ou d’un sous-traitant, va savoir, s’échinent à tondre. Une tonte bien tardive: tant mieux pour les bestioles. Les gradins sont des structures de bois pas bien rassurantes qui ressemblent à des podiums pour ogres. Au-dessus passe la route et l’accès au cimetière. Il est étonnant ce cimetière. Partiellement nickel, partiellement comme abandonné, de vieilles tombes surgissent en tous sens dans la pente, pas bien stables, des monuments funéraires font la révérence, saluent jusqu’à se rompre. Des tombes modèle militaire s’alignent bon an mal an: ce sont pourtant des civils morts il n’y a pas si longtemps pour certains, avec une simple croix, sous une simple chape de plomb. Ils sont tous là, alignés. Peut-être un déplacement de cimetière? Peut-être pas? Je reste sans explication, mais l’ambiance de ce cimetière, assez vaste, est un peu troublante. Inhabituelle en réalité. Le trouble naît de ce qui est presque comme d’habitude, mais pas tout-à-fait, sans pourtant qu’il ne se passe grand chose de palpitant: tout est dans la sensation, la trompeuse sensation. Là nous saisit une averse soudaine. On se réfugie dans la petite cabane de jardinier où nous accueillent une brouette et deux trois ustensiles mal identifiés. On fait le dos rond, on regarde les araignées, on essaye de discuter avec mais comme toujours elles font semblant de ne pas parler. On attend la fin de la chaouée.

    Là-bas, au-delà du cimetière, on surplombe la bourgade de tout près. Les cloches sonnent longuement, à la volée. Dans la vallée étroite, elles résonnent, profondes. Point de délicat carillon, mais la puissance d’un appel impératif. On avance sur des sentiers que les travaux forestiers rendent glissants après la pluie. La forêt semble ici avoir gravement souffert ces derniers temps, les coupes sont vastes. Faute d’écouter les alertes, nous en sommes à pleurer, un peu plus chaque année, nos arbres. Près de chez moi il y a trois arbres au milieu d’un champ, je les aime, ce sont mes arbres, des amis dans le paysage. L’été dernier je les ai vu cuire, perdre leurs feuilles très prématurément. En ce printemps, deux d’entre eux sont pour le moment pleins de panache… le troisième commence seulement à s’étoffer, mais reste malingre. Leurs trois silhouettes confondues ont toujours été un modeste phare pour moi. Je dois me faire à la détresse de l’un d’eux. Peut-être à sa future disparition. Passera-t-il cet été? Allons-nous enfin écouter les alertes, et obliger, par tous les moyens, nos bons maîtres sourds comme des pots et égoïstes comme des bons maîtres à écouter les alarmes désespérées ?

    En attendant les pentes sont impressionnantes dans ce coin. Le soleil tombe en cascade des hauteurs, et après la pluie il y a là une brume, légère, timide, presqu’invisible, qui n’existe que parce que les rayons lui tombent dessus. J’ai bien aimé cette partie de la balade, descendant tranquillement au rythme de ma fille fatiguée, pour échouer sur le récif de la chapelle Saint-Clément.

    Du flou on en retrouve. D’anciens jardins, d’anciens vergers, devenus terrains abandonnés, en friche, dépôts d’objets hétéroclites, de machines figées. Des cabanons debout, assis, couchés. Certains annoncent l’occupation humaine par un mince filet de fumée s’échappant d’une cheminée bricolée. Le flou de Gorze, que j’aime bien. Le flou inquiétant. Des coins comme ça. Objectivement, il y en a partout, mais y’a une saveur particulière à Gorze.

    On ne se foule pas beaucoup pour arriver à la chapelle Saint-Clément et à son oratoire en plein air, qui lui est antérieur. Elle est posée comme ça au bord du chemin. Ambiance Sleepy Hollow. On peut entrer coller sa tête aux grilles et regarder dedans l’unique rangée de bancs, la charpente qui les surmonte à l’occasion de travaux, si j’ai bien compris ce que j’ai vu. Dehors, une sorte de boîte à livres défoncée, avec trois ouvrages mais en de nombreux exemplaires. Les bouquins sont exposés à la pluie, au vent: on ne comprend pas le projet. peut-être qu’il n’y a pas de projet. Et à vrai dire c’est plus sage. Les projets conduisent aux exécutions.

    En revenant vers le petit parking au bord de la Gorzia, je me dis que d’une certaine manière c’est toujours ce même sentiment que j’éprouve, mais que je ne sais que décrire à propos du massif vosgien: j’ai passé un peu de temps dans la Vanoise et c’était majestueux, à couper le souffle, incroyable et à vrai dire, un peu trop de tout ça. Dans la Vanoise la montagne t’écrase sans te voir. Dans les Vosges, c’est autre chose. La montagne te voit. Ses esprits te suivent. Ses gnomes te guettent. Ses fantômes t’escortent. Les Vosges sont profondément humaines, profondément inquiétantes aussi pour cette raison. Si les Vosges te font chuter dans un pierrier sournois, elles le savent bien. C’est prémédité. C’est tout cet imaginaire de feux follets trompeurs et de tourbières hantées qui me transporte dans les Vosges. Bah ici c’est un peu pareil. ce n’est pas que ça bien sûr. Ni ici ni dans les Vosges. Mais quand j’entends la petite ritournelle de mon imaginaire partir dans un lieder aux accents grinçants, écrasés sous le poids des siècles et de mes délicieuses obsessions, alors ça va. Alors je suis à la maison. Alors c’est bien même si le fluide est glacial.

    Sur le petit parking au bord de la Gorzia, pendant que Y* se moque gentiment de S* qui n’a pas bien organisé le coffre, qu’E* sourit à C* et T* en mangeant un biscuit, je les écoute, content d’être avec elles et avec eux. Je garde quand même un œil sur la Gorzia. Qui sait ce qu’elle va charrier. Qui sait quelle créature va sortir de sous le pont, à la Stephen King… et puis surtout j’ai envie de revenir.